L’histoire du Dunbrody
Le véritable Dunbrody fut construit en 1845 au Québec. Il fut commandé, avec sept autres navires identiques, par «William Graves & Son», une famille de commerçants de New Ross. Il fut construit par Thomas Hamilton Oliver, un architecte naval, lui-même émigrant irlandais du comté de Derry. La construction du navire ne dura que six mois et fut supervisée par le capitaine John Baldwin, premier maitre et commandant du vaisseau de 1845 à mars 1848. Navire de marchandises à l’origine, le Dunbrody transportait principalement du bois du Canada, du coton du Sud des États-Unis et du guano du Pérou.
En 1845, l’année de sa mise à l’eau, l’Irlande fut frappée par la famine. La perte de la récolte de pommes de terre et l’envolée du prix des denrées alimentaires entraîna une situation désespérée, poussant rapidement plus d’un million de personnes à fuir le pays. Leur nombre était si grand qu’il n’y avait pas assez de navires pour les transporter. Des sociétés de négoce, comme celle de la famille Graves, aménagèrent des couchettes sur leurs navires marchands pour faire face à l’afflux de passagers. Entre 1845 et 1851, le Dunbrody transporta des milliers d’émigrants vers l’Amérique du Nord. En l’absence de régulation stricte, un navire de la taille du Dunbrody transportait de 160 à plus de 300 passagers. En 1847, le navire embarqua jusqu’à 313 passagers à destination du Québec. De nombreux passagers du Dunbrody étaient des métayers sur les domaines de Lord Fitzwilliam, du comté de Wicklow, et du Vicomte de Vesci à Portlaoise.
Le Dunbrody ne comptait que deux classes de passagers, ceux qui voyageaient en cabine, pour 5 à 8 £, et ceux qui voyageaient dans l’entrepont pour 3 à 4 £. Sachant que le salaire mensuel moyen d’un ouvrier agricole dépassait à peine 1 £ par mois, beaucoup d’Irlandais ne pouvait même pas payer un billet d’entrepont. Les passagers de cabine bénéficiaient d’une quantité substantielle de nourriture et de certaines prestations. Quant aux passagers de l’entrepont, ils devaient en grande partie se débrouiller seuls.
En 1847, alors que la récolte de pommes de terre était perdue pour la troisième année consécutive, une émigration massive était en cours. Durant les premiers mois du printemps, 40 navires étaient en attente de pouvoir débarquer à la station de quarantaine de Grosse Île au Québec. Les installations étant complètement engorgées par les arrivées massives, de nombreux passagers furent contraints de rester à bord durant plusieurs semaines avant de pouvoir finalement quitter leur navire. En mai 1847, après avoir pu finalement faire débarquer ses passagers, le capitaine Baldwin écrivit une lettre à William Graves : «Le Dunbrody a été placé en quarantaine pendant cinq jours parce qu’il y avait trop de navires en attente sur le fleuve Saint-Laurent. Le docteur Douglas est presque seul… chaque jour les bateaux jettent des dizaines de corps à la mer… J’ai entendu dire que certains n’avaient plus d’eau douce et que les passagers et les membres d’équipage devaient boire l’eau du fleuve. Que Dieu les garde !»
Bien que le Dunbrody ait été placé de nombreuses fois en quarantaine à Grosse Île, le taux de mortalité à bord était très faible. Un fait que l’on peut sans doute attribuer à la bonté et à l’humanité des capitaines du Dunbrody, le capitaine Baldwin et son successeur, le capitaine John W. Williams. Les émigrants qui écrivaient à leur famille saluèrent plus d’une fois leur attention et leur dévouement envers les membres de l’équipage et les passagers. Grâce à un service maritime postal bien organisé, les capitaines purent également maintenir un contact régulier avec William Graves.
La famille Graves continua à exploiter le Dunbrody jusqu’en 1869 avant de le vendre à une autre société. En 1874, alors que le navire ralliait le Québec, le capitaine ne voulut pas attendre qu’un pilote l’assiste pour naviguer sur le Saint-Laurent. Son impatience lui couta cher puisque le Dunbrody s’échoua. Par chance, le bateau fut racheté par une société de renflouage qui le répara avant de le revendre. Malheureusement, en 1875, le Dunbrody s’échoua une seconde et dernière fois. En route pour Liverpool avec une cargaison de bois d’une valeur de 12 500 £, le navire fut pris dans une violente tempête et projeté sur les côtes du Labrador. Même si l’on ne connait pas les détails exacts de la fin du Dunbrody, il est probable que la réparation des dommages subis par la coque vieillissante du navire, alourdie par une importante cargaison de bois, était trop couteuse. Son épave fut donc abandonnée. Avec le temps, elle finit par se disloquer avant de pourrir complètement.